Elle remplit les verres des invités.
On lui demande de s’en offrir aussi.
Alors elle renouvelle la politesse
Et se met à boire avec eux.
Au milieu de la causerie agréable,
elle se tourne vers la cuisine,
et demande qu’on serve un repas simple,
avant que les voyageurs ne repartent.
Puis elle raccompagne les invités,
au pas légers et rapides.
Elle s’arrête cependant à la porte
ne voulant dépasser le seuil.
Une telle épouse par sa vertu fera ternir
la très capable Qi Jiang ;
Une telle maitresse de la maison
Dépasse même bien des maris
Qi Jiang (齐姜), une célébrité de l’époque de Chun Qiu 春秋(770 -221AEC ), princesse du royaume de Qi 齐 et mariée au roi du royaume Jin 晋, elle a été une bonne conseillère pour le maintien du pouvoir de son époux. Plus tard, son nom entre dans le vocabulaire pour désigner les femmes dignes et brillantes.
Le soleil de l’est
Illumine la maison de chez Qing.
Une belle femme au nom de Luo Fu
s’occupent bien des vers de soie.
Elle va cueillir les feuilles des mûres
au sud du village.
Son basket est fait de ficelles bleues,
et la poignée, des tiges d'osmanthus。
Les beaux épingles sur les cheveux,
les perles pendues aux oreilles,
la jupe en soie jaune pâle,
la veste en coton violet.
Les passants déposent leurs bagages
pour la regarder ;
les jeunes en la croisant se décoiffent
et s’arrangent les cheveux.
Ceux dans les champs oublient
de tourner la terre et de labourer.
Le soir ils se plaignent de n’avoir rien fait de la journée
Que de contempler Luo Fu
Dans « Mo Shang Sang » apparut la règle de cinq mots et cinq syllabes, que les poètes contemporains et futurs allaient pratiquer, en y imposant de surcroît une limite au nombre de vers – huit au maximum, en général.
La poésie chinoise dès le départ est de tendance minimaliste et formaliste.
Le vaste Chi Le,
en bas de la montagne Yin,
Le ciel ressemble
au plafond rond de l’immense tente
Couvrant tous les coins de la prairie
Le ciel comme c’est bleu
oh comme c’est bleu,
la plaine sans borne,
oh sans borne
Passe le vent, se courbe l’herbe,
Appraissent alors moutons et boeufs
Quand arrive le printemps
L’herbe s’enracine et germe
La Pluie et la rosée se répandent
Les hommes et les plantes
Tous reçoivent ce cadeau et cet amour
Après le grondement des tonnerres
Les animaux dans les grottes s’excitent
Et terminent leur hivernage
Les plantes mortes repoussent aussi
Pour tous les êtres
La vie commence et se reproduit
Grâce à la saison généreuse
“Au matin je goûte de la rosée sur des orchidées
Dans mes plats du soir se trouvent des pétales des chrysanthèmes
Aussi longtemps que l’âme reste propre,
Qu’importe si le corps devient maigre ?
Avec les racines des orchidées j’attache des angélicas,
J’enchaîne des figuiers nains où vibrent encore des perles de rosée
Avec les jeunes tiges des osmanthes je rassemble des veratrums。
…
Le matin je pars des champs de Cang Wu au sud
Au coucher j’arrive à Xian Pu au pied de la montagne Kun Lun
Je voulais m’attarder à Lin Suo
Hélas la nuit tombe trop vite
Je demande à mon cheval dragon Xi He de ralentir
De ne pas se précipiter vers la montagne Yan Ci
Le voyage sera long, la destination lointaine
Je chercherai mon soleil dans tous les coins du monde
…
Le matin je pars de l’embarcadère de la rivière du ciel
Aux crépuscules j’arrive au paradis de l’ouest
…
En un clin d’œil j’atterris sur une plage
Et je me promène le long de la rivière rouge
…
Mon servant est triste
Mon cheval hésitant
Le corps courbé
La bête regarde en arrière
…
Puisque personne ne croit en ma bonne politique
L’ancien shaman Peng Xian sera mon meilleur compagnon”
Les 374 vers de Qu Yuan, écrits durant son exile, racontaient sa noble naissance, son pays natal en fleurs, son amitié avec le roi, leurs parties de chasse, leurs excursions, leur succès de gouverner, mais aussi la complication dans la cour, les mauvaises langues, la corruption, les stupides décisions qui entraînaient les défaites l’une après l’autre face au royaume Qin, la misère du peuple, le refus du poète de collaborer et de s’accommoder avec des personnes malhonnêtes et incompétentes qui entouraient le roi. Il relatait aussi les rois d’autrefois qui avaient réussi grâce à leur vertu et les rois qui avaient perdu leur trône à cause de leur manque de clairvoyance. Se préparant à sa propre mort proche, Qu Yuan s’adressait au Ciel le souverain, aux anges intermédiaires, il suivait les pas du shaman, et il allait dans des lieux aux noms mythologiques, il entrait dans un monde merveilleux, un monde coloré, sensuel et pur, qu’il décrit longuement, dont il se réjouissait avec de la béatitude, tout en regardant derrière lui, malgré lui, malgré son désir d’oublier, son pays d’antan, son paradis perdu, avec d’inconsolables chagrins.
Les "phonies", comme des plantes vivaces, veulent toujours s'étendre. Dans "étendre", on entend "un point de départ", "un point fixe", une identité propre; une tentative de meurtre parfois. Mais étendre implique aussi une trajectoire, un risque. C'est là , au cours de la trajectoire, du risque de rencontrer l'Autre, que les hasards se produisent. C'est ainsi que le point d'arrivée visé ou présumé serait décalé, inattendu, hors du contrôle.
Ce serait dans une telle trajectoire que l'histoire se joue, se réinvente, surprend, que les langues naissent, meurent, ou se renouvellent.
“Le chant du shaman s’élève :
…Revenez, l’esprit de sa majesté !
Pourquoi quitter son noble corps,
Et errer dans les quatre coins du monde ?
En quittant son joyeux foyer,
on rencontre le danger !
Revenez, l’esprit de sa majesté!
L’est n’est pas fiable.
Les êtres d’immenses tailles,
Attendent à capturer les esprits ;
Dix soleils s’alternent,
le métal coule et les pierres se déforment ;
Tous s’y habituent, là-bas,
Mais vous y seriez dissous.
Rentrez ! C’est n’est pas le bon endroit.
Revenez, l’esprit de sa majesté !
Il ne faut pas s’attarder dans le sud.
Les sauvages avec les dessins sur le front,
Et avec les dents noires,
Se servent de la chair humaine pour l’offrande
Et de leur crâne pour contenir du vin ;
Des serpents avec leur venin peuplent xxx dans l’herbe ;
Les gros renards sont partout ;
Le monstre aux neuf têtes
Y rôde et attaque brusquement,
A la recherche d’un festin des humains
Pour fortifier leur cœur.
Rentrez ! Il ne faut pas s’y perdre.
Revenez, l’esprit de sa majesté!
Le péril de l’ouest
Se trouve dans son vaste désert.
Du sable tourbillonne sous le tonnerre,
Et ravage sans recul.
Quand par chance on s’en sauve,
On fait face à un territoire vide.
Des fourmilles rouges sont énormes comme éléphants ;
Des guêpes sont grandes comme théières;
Les cinq céréales y poussent mal,
Il n’y a que des plantes sauvages à manger.
La terre brûlante cuisent les hommes,
Aucune prière n’arrive à faire venir de l’eau.
Rentrez ! De peur de tomber sur des vilains.
Revenez, l’esprit de sa majesté!
Le nord n’est pas bon pour s’y installer.
La glace dure ressemble à la montagne,
La neige voltige et s’étend.
Rentrez ! Il ne faut pas y rester longtemps.
Et ne montez pas seul au ciel.
Car les neuf portes du ciel
Sont gardées par tigres et léopards,
Avides de la chair des êtres terrestres ;
Un monstre à neuf têtes
Est capable de déraciner neuf mille arbres ;
De plus les loups aux yeux longs
Y font la course, et s’amusent
A lancer les corps humains
Avant de les jeter dans l’abîme ;
Ce n’est qu’alors ils vont
Rendre le rapport au Ciel le souverain
Ce n’est qu’alors que vous pouvez fermer les yeux
Et discontinuer le souffle......
Rentrez ! Il est trop dangereux d’y aller.
Revenez, l’esprit de sa majesté !
Passez vite la porte de la capitale.
Le shaman qui guidera l’esprit de sa majesté,
est déjà en route.
Prêts sont les basquets de Qin et les rubans de Qi,
Et les étoffes de Zheng.
Les ustensiles pour les prières sont préparés,
Les instruments sont rassemblés,
La musique et les chants dureront longtemps.
Revenez, l’esprit de sa majesté !
Revenez dans son ancienne maison.
Mots de la fin:
…
Le soleil rouge rayonne après la nuit
Le temps coule sans arrêt
Le chemin d'antan est
couvert de l'herbe et introuvable
La forêt d'érables
borne le fleuve limpide
Au loin mon regard se porte
Oh comme ce printemps est blessant
Revenez, l’esprit de sa majesté,
vers la terre triste, au sud du fleuve,”
-- Qi 齐et Zheng 郑 sont deux autres royaumes de l’époque.
-- Tandis que le shaman décrit les territoires en dehors de Chu comme des enfers, il se contredit en précisant que les produits d’ailleurs sont utilisés pour sa cérémonie.
En 299AEC, l’armée de Qin a pris huit villes du royaume de Chu. Le roi de Chu a accepté l’invitation de se rendre en personne au pays de Qin pour négocier la paix. Il en était conscient du danger. Ce rendez-vous était en effet un piège. Le roi a été pris en otage. Trois ans après il fut mort de maladie dans le territoire de Qin. Sa dépouille a été transportée vers sa terre natale.
Ce poème, «Prière pour le retour de l’esprit» contient 282 vers, divisé en quatre parties : 1) Le souverain du Ciel demande au shaman de faire rapatrier l’esprit du roi. 2) Les appels du shaman adressés à l’esprit du mort : description des territoires de tous les côtés en dehors de Chu qui selon le shaman sont invivables ; précisions sur la préparation de la cérémonie pour accueillir le mort. 3) Le shaman montre en deux très longs paragraphes la prospérité et la beauté de Chu, de l’architecture à l’agriculture, de la gastronomie à la couture, de la poésie à la musique, du climat aux paysages. 4) Commentaire de Qu Yuan qui devient le narrateur: ses souvenirs des voyages et de la chasse avec le roi, leur amitié, sa prière pour que l’esprit de celui-ci puisse se reposer sur la terre natale.
Le choix de traduire la deuxième partie de ce poème : le shamanisme étant marginalisé depuis l’époque de Kong-Zi, « Le livre de poésie » ayant choisi seulement trois cents poèmes parmi plus de trois mille, ces prières du shaman, avec moins de censure, nous offre un précieux angle pour connaître l’un des mondes préhistoriques.
Approche de la traduction : comme il s’agit d’un poème dont le récit est l’objectif premier, davantage que l’observation formelle, dont l’écriture tend à“dire plus”au lieu de “dire moins”, la traduction opte pour un style plus libre et plus direct, plus proche de la prose.
En bon héritier du « Livre de la Poésie », les vers de Qu Yuan sont principalement de quatre mots ; s’y ajoutent les mots d’exclamation tels « 兮 » et « 些 ». Le vocabulaire est d’une très grande richesse.
Fu Cong meurt le 28 décembre à Londres, en solitaire. Car il a toujours cru qu’il y a plus de vérité dans la solitude que dans une foule de journalistes. De l’autre côté de l’océan, pourtant, les injures sur sa “trahison” s’acharnent à nouveau, un demi siècle et plus après son exile, cette fois non pas officiellement mais dans les réseaux sociaux. C’est parce que, ce musicien si poétique, si grâcieusement confucien et appartenant à un autre temps, au temps de Roman Roland que son père a traduit, est une cicatrice même de sa civilisation, et donc aussi celle du monde.
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Echange avec Rosa à propos du “Mangeur”:
“Depuis la publication de ce livre, je me heurte sur un silence gêné et gênant…que dire à ceux qui prennent ce livre aussi au premier degree?
Je pense, sans jugement et sans excluant moi-même, qu’il y a quelque chose d’incestueux dans tout attachement à la famille, au familier, aux origins, à la mémoire, à la “patrie”, à la “zone du confort”, dans l’amour de soi poussé à l’extrême.
J’ai commencé avec une idée vague, puis le texte s’est évolué, et je choisis toujours de laisser le texte rester ce qu’il est devenu.
Je n’ai jamais eu de plan clair, n’ai jamais été convaincue quant au déroulement, au devenir d’un texte.”
Chu Ge 楚歌 (anonyme)
“Chanson de la traversée du mandarin”
Les lumières du soleil et de la lune, oh, elles se fondent et s’étendent
Parmi les roseaux ondulants, oh, je croise un monsieur
Le soleil déjà se couche, oh, comme il a l’air triste et inquiet
La lune déjà court dans le vent, oh, pourquoi ne part-il pas en bateau?
Le danger semble imminent, oh, que puis-je bien faire
Celui dans les roseaux
Celui dans les roseaux
N’est-ce pas le pauvre gentilhomme célèbre?
Note:
-- Chu Ge 楚歌,chanson populaire de Chu, diffère de Chu Ci 楚辞,forme littéraire。
-- Cette chanson raconte l’histoire d'un pêcheur qui a sauvé le célèbre mandarin, Wu Zi Xu伍子胥,qui a été pourchassé par ses ennemis politiques de Chu)
-- 兮,mot pour cadencer les vers de Chu. Origine du mot: musique montée lors des prières
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Depuis deux siècles, a dit Zhao Ting Yang 赵汀阳, les intellectuels chinois admirent, traduisent et étudient les penseurs occidentaux anciens et modernes. Il semble souhaiter plus de dialogue entre les contemporains dans un monde divisé.
Marie NDiaye, une vertigineuse plume du temps présent en français.
Bien sûr il faudrait s'attacher beaucoup à l'humain, peut-être bien plus qu'aux autres espèces, pour pouvoir écrire ce qu'elle écrit.
Peinture de Pu Xue Zhai (溥雪斋),cousin du dernier empereur.
On y voit la place prédominante accordée aux lettres, dans la conception de l’univers. On a voulu croire, contrairement à l’enseignement boudhique, à l’immortalité des mots et des langues, à l’immortalité des civilisations auxquelles s’attachent les premiers.
N’ayant pas de chance, en general, d’épanoissement et de sublimation, la musique ancienne chinoise a dû s’accrocher à des vers mandarins pour subsister, comme une ombre, comme un souffle qui ne veut pas partir, comme un embryon éternel.
Beaucoup de poèmes ont été écrits selon les partitions, mais tandis que les poèmes sont largement conservés, la plupart des partitions sont perdues.
Je n’ajouterais donc pas de syllabes en traduisant, quitte de sacrifier des sens et des images. Ceux-ci abondent dans le monde moderne. Ce qui manque est le vide dans le plein, les non-dits, les ambigüités voulues. Ce qui manque aussi est une musique qui n’a pas eu une pleine naissance. Elle m’a manqué.
Extrait du « Livre de la Poésie 诗经 »
«Toi au jade bleu
Oh quelle langueur
N’ose me déplacer
Tu ne viens pas?
Mes va-et-vient
Sur les murailles
Un jour sans toi
C’est comme trois mois »
Commentaire de Kong-Zi :
« Le livre de la poésie, en un mot, c’est de la pensée sans parure. »
Extrait du 《Livre de Poésie 詩經》
"Mon départ jadis
Du saule caressant
De retour aujourd'hui
Voltigent neige et pluie"
Nous avons voulu condenser une forme, Qing Ping, qui était à l’origine de 8 vers. Ce n’est pas pour la faire allonger en nombre de syllables, lors de sa traduction vers le français.
Extrait du 《Livre de Poésie》詩經
“Le chant du cerf
appel aux armoises
Tambour et flûte
pour les invités “
—Anonyme, de l’Epoque Zhou (1046-770AEC)
Choisi, établi et annoté par les mandarins de l’Époque Chun Qiu (770-476AEC) dont fit partie Kong ZI.
“Le Livre de Poésie” contient 305 poèmes de l’époque précédente, choisis parmi plus de 3000 trouvés, provenant des chansons populaires, des chants religieux et des récits des vicissitudes de la cour.
Poèmes longs, souvent vers de 4 syllabes.
L’un des ouvrages fondateurs de la langue et aussi de la poésie chinoises.
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